
Les socialistes auraient-ils recours à la technique de la terre brûlée ? Malheureusement, tout laisse à croire que face, aux déroutes électorales successives, le gouvernement et la majorité socialiste en place, consciemment ou inconsciemment, emploient la vieille technique de l’adage « Après moi, le déluge ».
Trois dérives le prouvent hélas aujourd’hui tristement.
La manière peu responsable d’user de la réforme territoriale : ne se plaçant plus dans une perspective institutionnelle de long terme, le gouvernement a usé et abusé de la réforme et du ciseau, taillant dans les circonscriptions électorales pour tenter d’éviter une déroute : après avoir sacrifié la réforme du conseiller départemental, la seule qui aurait permis la disparition progressive d’un niveau de collectivité d’administration locale, les socialistes n’ont cessé de revoir leur copie aboutissant au final à la création d’une nouvelle strate d’administration locale avec la création des métropoles. Celle du Grand Paris, doté d’un conseil de 340 membres, détient dans notre France, pourtant peu avare en élus locaux, un record qui prêterait presque à sourire tant elle est en contradiction avec le discours satisfait d’un gouvernement déclarant avoir fait une grande et économe réforme. Pire encore, la réforme à multiples rebondissements des régions a fait fi de l’histoire de nombre d’entre elles, à commencer par l’Alsace, à l’identité pourtant si forte. Et que dire du charcutage des circonscriptions départementales habillé de l’invention de duos homme-femme qui se révélera d’une rare complexité à gérer quand les électeurs d’un même canton seront pris à témoins de divorces idéologiques. La dérive financière est encore plus préoccupante. Constatant la perte de ses fiefs locaux, le gouvernement a eu beau jeu de faire porter sur les collectivités territoriales un effort bien plus important que celui demandé au budget de l’État. Ainsi, alors que le déficit de l’État continue à croître de 85 milliards d’euros en 2014, les collectivités territoriales se voient elles taxées de près de 30 milliards sur la période 2013-2017. A cette chute globale des dotations de l’État s’ajoute une explosion du montant des redistributions entre collectivités estampillées pauvres et celles qualifiées de riches. Outre le fait que les critères ont été changés de manière à s’apparenter davantage à une nouvelle imposition sur le revenu des habitants que sur la richesse économique des collectivités, les niveaux atteints sont désormais tels pour les communes et départements prélevés qu’ils tuent littéralement leurs capacités d’investissement. Les communes assurant 60% de l’investissement public, on observe dès à présent un effondrement de celui-ci, au moment même où il est indispensable à la relance de l’économie.
Plus lourd encore de conséquences, le gouvernement et la majorité socialiste ont usé et abusé des sujets de société clivants, espérant ainsi remobiliser un électorat désorienté par les échecs de la politique économique et sur le front de l’emploi. Au lieu d’apaiser, pendant des mois, le pouvoir en place a préféré montrer les muscles face aux millions de manifestants de la Manif pour tous, faisant la sourde oreille sur ce qui n’était qu’une légitime inquiétude concernant les conséquences de la réforme sur la filiation : le traitement disproportionné réservé à des manifestants qui n’avaient rien de révolutionnaires, traités comme de dangereux fauteurs de troubles, a donné naissance à un nouveau rapport au pouvoir, fait de méfiance et de suspicion. Une lame de fond sourde, persistante, profondément préjudiciable à l’exercice de toute autorité, pourtant indispensable au bon fonctionnement de notre pays. Le gouvernement semblait avoir compris la leçon en étant plus habile dans la gestion du délicat sujet de la fin de vie, recherchant une voie médiane. Un discours enfin moins donneur de leçons, qui exaspère des Français qui ont aussi le droit d’avoir des convictions différentes. Hélas, les dérapages verbaux récents sur l’« apartheid des quartiers », cette systématique focalisation sur les seuls quartiers difficiles ne fait qu’attiser les incompréhensions, comme s’il y avait deux France, celle qui supporte tous les malheurs du monde et qui a désormais elle-seule le droit à la sollicitude des pouvoirs publics et une France de nantis. Comment ainsi ne pas comprendre la sourde colère des gendarmes du quartier militaire de Satory, eux qui, encensés en ce début d’année par toute la nation pour leur courage, constatent que l’État est incapable de considérer que leurs logements de fonction peuvent aussi prétendre aux crédits de la rénovation urbaine. A Satory, où faute de crédits d’entretien, l’état de nombre de logements est devenu indigne, le taux de vote en faveur du Front national aux dernières élections a atteint 60 %.
A n’en pas douter, nombre de responsables de la majorité actuelle portent un réel amour de la France. Emportés par le tourbillon des échecs, ils en oublient seulement que, quand le bateau risque de couler après avoir touché les récifs à la suite à une erreur de navigation, il faut commencer par penser en priorité à la survie des passagers et non de l’équipage.
François de Mazières
"L’« après moi le déluge » des socialistes"
Le Figaro, 7 avril 2015